Le Jeu de la Dame est officiellement la mini-série Netflix qui comptabilise le plus de vues pour l’année 2020.[1] La série, réalisée par Scott Franck et Allan Scott, est une adaptation du roman à suspense de Walter Trevis sorti en 1983. L’auteur raconte le parcours d’Elizabeth « Beth » Harmon, une orpheline avec un don pour les échecs et un fort penchant pour les médicaments et l’alcool. Joueur d’échec amateur, Trevis s’inspire de son hobby ainsi que de sa très forte prise de médicaments pour créer le personnage principal du Jeu de la Dame. Nous nous sommes attardées sur cette série de 2020 qui a engendré énormément de critiques[2]. En effet, si cette série dit prôner le féminisme, est-ce réellement ce qu’elle dépeint ?
ATTENTION : CET ARTICLE CONTIENT DES SPOILERS
Trop geek ou trop glam
Bien que la série soit régulièrement complimentée pour sa représentation féministe d’une femme qui s’impose dans un monde d’hommes dans les années 60, nous pensons que cette vision est un peu utopiste. [3] En effet, encore en 2021, les femmes ne sont pas acceptées dans le milieu professionnel des échecs. Elles sont objectivées, sexualisées et ne sont pas considérées comme assez intelligentes.[4] En 1963, le joueur d’échecs américain Bobby Fischer a d’ailleurs clamé à propos des femmes dans une interview à Société Radio-Canada :
« Ce sont de terribles joueurs d’échecs … Je suppose qu’elles ne sont tout simplement pas assez intelligentes … Je ne pense pas qu’elles devraient se mêler des affaires intellectuelles, elles devraient rester simplement à la maison« .[5]
Andreaa Navrotescu, joueuse d’échecs française réagit à cette représentation idéalisée de la femme dans le milieu des échecs dans les années 60 :
« Dans la série, la situation des femmes n’est pas réaliste. Nous sommes encore aujourd’hui une minorité, et nous ne sommes pas considérées comme joueurs, mais joueuses d’échecs. La série est donc plus un idéal de ce que devrait être la place de la femme dans les échecs. »[6]
En effet, le fait que le personnage gravisse les échelons du monde des échecs sans se faire dénigrer, harceler, humilier, agresser ou même violer semble relever de la fantaisie.[7] Son parcours semble sans embuche, elle ne semble rencontrer que de parfaits gentlemen qui veulent son bien et sont impressionnés par son potentiel.[8]
Mathilde Choisy, directrice générale de la fédération française des échecs s’est exprimée à ce sujet :
« Beth ne verbalise jamais vraiment le sexisme qui règne dans les échecs : elle l’aborde une seule fois après la publication d’un article de presse qui parle uniquement de sa place de femme dans un milieu masculin, et n’analyse en aucun cas son jeu en tant que tel. Elle ne rencontre en effet presque aucune résistance, elle ne perd que très peu de parties, et les hommes sont quasiment tous de parfaits gentlemen… La réalité est un peu plus compliquée que cela. »[9]
Selon nous, l’idéalisation de ce monde ne sert pas la cause féministe. Pour légitimiser notre propos, voici un extrait de l’épisode 3 dans lequel la mère de Beth lit, sourire aux lèvres, un article écrit sur sa fille adoptive :
« Il arrive qu’un jeune homme surgisse et nous éblouisse par sa précocité face à ce qui peut être le jeu le plus difficile au monde. Mais que se passerait-il si elle était une fille, une jeune fille au visage fermé et avec des grands yeux bruns, au cheveux roux et la robe bleu foncé ? Dans le monde des meilleurs tournois d’échec dominé par les hommes se promène une adolescente au regarde intense et pétillant venue du lycée Fairfield. Elle est discrète, a de bonnes manières et est passionnée. »[10]
À la suite de cette lecture, Beth se pose des questions essentielles. Malheureusement, cette scène de prise de conscience ne dure que 1m40 sur une série qui comptabilise 7 épisodes de plus moins 50 minutes chacun, soit 55 863.55 minutes environ.
Une manic pixie dream girl avec un cerveau
On peut constater que la série tire le personnage principal vers la manic pixie dream girl :
« Le terme Manic Pixie Dream Girl a été utilisé pour la première fois par le critique Nathan Rabin dans sa revue du film Elizabethtown, avec Kirsten Dunst. Vu les termes « manic » pour « hystérique » ou « folichonne », et « pixie » pour lutin ou elfe, tu t’attends pas vraiment à ce que les personnages visés soient positifs… »[11]
La manic pixie dream girl est donc un personnage féminin présent dans les différents types de narration. C’est un personnage assez superficiel avec des attitudes parfois enfantines. La manic pixie dream girl a des cheveux aux couleurs inhabituelles, est très belle, insouciante, pétillante et teintée de maladie mentale. Ce personnage est le fantasme masculin typique de la femme indépendante, de l’esprit libre qui refuse toute contrainte et tout engagement.[12] Généralement, ce personnage a pour objectif de satisfaire l’ego du protagoniste masculin et de lui ouvrir les yeux sur un mode de vie plus agréable et plein d’aventure.
Dans le cas du Jeu de la Dame, il n’y a pas de protagoniste masculin. Beth semble apathique envers la romance, l’engagement ou le mode de vie traditionnel de l’époque que la plupart des jeunes femmes recherchent alors. Ce désintérêt n’est pas féministe, progressiste ou même rebelle ; il sert uniquement à creuser le fossé entre Beth et les autres filles. Il renforce le caractère unique, hors-normes et marginal de la protagoniste, ce qui la rend d’autant plus mystérieuse.[13] On peut constater ce fossé à plusieurs reprises. Notamment dès le début de la série, lorsque Beth se démarque des autres jeunes de l’orphelinat, ce qui l’amènera au sous-sol, où elle apprendra les échecs.[14] Ces caractéristiques surgiront à nouveau plus tard dans la série, quand Harry Beltick lui déclarera sa flamme ou même lors de sa relation amoureuse avec Benny Watts.[15]
Un récit de génie ?
Le Jeu de la Dame est très vite devenu un symbole de théories féministes et « la » série féministe à voir. Bien sûr, la série fait du bien à l’ego féminin. Mais est-ce parce que Beth est une femme ou est-ce parce qu’elle est une personne talentueuse ? Est-on émerveillés car elle a un don pour les échecs ou parce qu’elle est une femme ?[16] Pour la joueuse d’échecs française Andreaa Navrotescu :
« Ce que montre la série, c’est plutôt une image que les gens ont du joueur d’échecs, qui serait troublé ou fou. Ce n’est pas quelque chose que j’ai pu observer dans la réalité. »[17]
Il semble malheureusement que ce récit soit l’histoire d’un esprit de génie qui, par le plus grand des hasards, a fini dans le corps d’une jeune femme. Dès lors, nous nous posons la question suivante : « Est-ce-que nous apprécions Beth seulement pour son génie ? Aurait-elle eu le même succès si elle avait été un Edward et non une Beth ? ». Pour le critique de cinéma Samuel Blumenfeld, il s’agit d’ailleurs d’un stéréotype du cinéma américain :
« On retrouve dans la série une idée structurante du cinéma hollywoodien : le don, dont vous héritez. »[18]
Plutôt qu’un personnage féministe, Beth est un personnage « génial ». Tout lui est permis, toutes les portes s’ouvrent sur son chemin sous prétexte qu’elle est exceptionnelle. Le personnage d’exception, comme Beth ou le Dr House, est si intelligent et doué de talents si incroyables qu’il est vu comme un être supérieur.
D’autres similitudes apparaissent chez Beth et le Dr House, comme leur dépendance à l’alcool ou à la drogue. Ils préfèrent la solitude, ont une façon de penser différente de la majorité et sont souvent cyniques. Cela pourrait nous mettre sur la voie de la simple idolâtrie du génie. Les scènes de Beth noyée dans l’alcool sont nombreuses. Par exemple, dans l’épisode 6 la jeune femme est complètement saoule et ne peut que s’évanouir dans son salon.
La philosophe française Sandra Laugier souligne :
« Ce qui est fascinant dans la série, c’est la façon dont est représentée le génie extrême : on assiste à l’itinéraire d’un personnage qui va se développer dans une perspective perfectionniste. Elle essaie constamment de se vaincre elle-même, car elle est son pire ennemi. La série montre cette transformation d’une adolescente étrange et ingrate en un personnage puissant, qui parvient à contourner tous les obstacles. » [19]
Dans ce type de schéma, le protagoniste est toujours au cœur de l’action car tout tourne toujours autour de lui. Tous les personnages apparaissent quand Beth en a besoin et ils n’hésitent pas une seconde à sacrifier des éléments de leur propre vie pour rendre la sienne meilleure. Comme Dr House, face à tout ce soutien, Beth place son travail au-dessus de son humanité d’une manière qui la protège et l’isole. Bien que cela fâche parfois son entourage, il finit toujours par lui pardonner et est toujours émerveillé par les prouesses du génie. Dans la série, cet entourage est principalement représenté par la mère de Beth, Jolene, ou encore par Benny Watts.
Beth n’est pas considérée comme une femme dans le milieu des échecs qui est un milieu exclusivement dominé par les hommes mais comme un prodige qui gravit les échelons. Lors de la visualisation de la série, une seule idée est présente : elle mérite sa place grâce à son don.
Cet argument est malheureusement complètement dissonant par rapport au reste des femmes dans le monde, qui doivent suivre un chemin tout tracé, compromettre leurs besoins et se conformer à une société patriarcale dans laquelle les hommes dominent. Beth peut être arrogante, condescendante, grossière, capricieuse et égoïste, les hommes dans sa vie reviendront toujours pour la soutenir car elle est un génie antisocial. C’est là le summum de la supériorité masculine : la soutiennent-ils car elle est géniale ou parce qu’elle est une femme talentueuse ?
Une dose d’héroïne pour une série « féministe » ancrée dans le male gaze
« Une vision utopiste », était le terme que nous utilisions en début d’article. Cette vision évoquée n’est-elle pas significative du ressenti global de cette série ? La série n’est-elle tout simplement pas victime du mal gaze ?
L’héroïne, presqu’élevée au rang d’une divinité, suscite l’admiration et l’envie. Il convient de rappeler qu’elle est avant tout un personnage féminin esthétique parfois presque martyre, admiré pour sa capacité à subir la douleur et parfois plainte.[20]
Pourquoi ces stéréotypes féminins sont-ils si présents dans une série Netflix avec de nombreux acteurs connus et reconnus et un budget si élevé ? Etait-ce inévitable ?
En regardant de plus près la structure de l’équipe créative du Jeu de la Dame, on s’aperçoit très vite de la composition quasi exclusivement masculine. Un homme a écrit le roman, des hommes l’ont adapté en scénario ; un homme l’a réalisé et des hommes l’ont produit. Les postes féminins de plus haut niveau sur la production étaient les actrices, la rédactrice, la directrice de casting et d’autres femmes occupant des postes liés à la direction artistique. Il n’y avait donc aucune femme présente lors du développement principal de la série.
Bien sûr, ces hommes ont fait de leur mieux pour créer une œuvre centrée sur une femme intelligente et complexe, il faut le souligner. Cependant, le fait qu’aucune femme n’ait été inclue dans la prise de décision et le développement principal de la série saute aux yeux et ne peut qu’être ressenti.[21] L’angle féministe de la série, bien pensé en théorie, se révèle maladroit dans la pratique.
Au fur et à mesure que la série progresse, ce phénomène de regard masculin maladroit prend de plus en plus de place et Beth devient un fantasme masculin, mêlant caractère de génie solitaire de manic pixie dream girl fragile. [22] Beth commence ensuite à s’habiller de façon provocante et à être sexualisée par les auteurs de la série. Par exemple, divers plans sont tournés juste à hauteur de la poitrine de Beth ou dirigés vers l’ourlet de sa jupe. Ce qui est plus interpellant et inquiétant, c’est que ces plans ouvertement sexualisés sont présentés aux moments les plus inopportuns, comme lors du décès de sa mère adoptive. On la voit alors se déshabiller, ce qui nous pousse à penser que le regard masculin ne pardonne pas et s’introduit tout le temps et partout, ne laissant aucun répit aux personnages féminins.
La joueuse d’échecs géorgienne Nona Terentievna Gaprindashvili championne du monde des années durant et Grand maître international qualifie même la série de :
« Manifestement fausse, grossièrement sexiste et dénigrante ». [23]
Certes c’est un pas en avant pour l’industrie de la télévision de représenter des personnages féminins forts, mais pourquoi ne pas faire un pas de plus en donnant les commandes à de véritables femmes fortes en chair et en os plutôt que se cacher derrière un patriarcat toujours trop présent et un male gaze lui aussi tout aussi étouffant ?
Une certaine maladresse…
Dans le Jeu de la Dame, Beth entretient une relation complexe avec Jolene, sa meilleure amie de l’orphelinat. Dans la série, Jolene apparait en se fixant pour objectif de sauver Beth. Ce n’est pas le cas dans le livre : Beth demande de l’aide à Jolene. Les déformations à propos du personnage de Jolene ne s’arrêtent malheureusement pas là et, dans la série, la représentation du lien entre les deux jeunes femmes est à nouveau bien top stéréotypée.
Jolene est une orpheline plus âgée qui sait qu’elle ne sera probablement jamais adoptée en raison de son âge, de son orientation sexuelle et de la couleur de sa peau. Plus tard, quand Beth se perd dans la drogue et l’alcoolisme, Jolene se présente comme par magie à sa porte et aide Beth à retrouver la sobriété. Ce personnage sympathique et jovial est lui aussi un stéréotype problématique bien connu dans le cinéma américain, celui du « nègre magique » (« Magical Negro » en anglais).[24] Ce personnage-type sympathique vient en aide à un protagoniste blanc et le sauve de l’auto-destruction. Nous pourrions par exemple comparer ce moment à l’intrigue du Rocky 3 et de la relation entre Rocky et Apollo. Les personnages de « nègres magiques » existent uniquement pour mettre en avant le protagoniste blanc et lui permettre d’évoluer. Dans Le Jeu de la Dame, ce personnage semble ancré dans plusieurs minorités : Jolene est une femme noire lesbienne. Le fait qu’elle serve uniquement à aider la protagoniste blanche hétérosexuelle est donc d’autant plus problématique.
Racisme ou maladresse, il est difficile de croire qu’une telle bavure soit passée sans soulever de questionnements… De tous les personnages de la série qui n’existent que pour faire valoir Beth, le personnage de Jolene est soumis à une montagne de stéréotypes des plus flagrante.
Quand la maladie mentale devient glamour
Comme établi plus haut, il convient de remarquer que la série est fortement ancrée dans le male gaze, le regard masculin. Cela peut aussi être renforcé par un autre thème fort : celui de la représentation de la maladie mentale.
Ainsi, quand Beth est au plus bas dans la série, on ne la voit pas dans un endroit miteux, dans un lit, avec un teint blafard, sans maquillage, pas coiffée, en pyjama, entourée de bouteilles d’alcool bon marché et de flacons de médicaments. Non, on la voit en robe, dans une chambre d’hôtel de luxe, parfaitement maquillée, si ce n’est le mascara coulant sur ses joues, ses cheveux parfaitement en place, une cigarette dans une main et un verre de cocktail dans l’autre. Ce concept de glamouriser la maladie mentale n’est pas étrangère à Netflix[25], à des séries ou films ou encore tendances[26] actuels et est typiquement utilisé dans le cas de la manic pixie dream girl.
La maladie mentale est vue comme un état d’esprit sexy. Ainsi, prétendre avoir un problème de santé mentale remplace le besoin de développer une personnalité, tandis que, pour les gens qui souffrent réellement de maladies mentales, il est plus difficile d’en parler.
On peut très clairement lier cette glamourisation aux male gaze que subit la série Netflix. La maladie mentale n’est pas un trait de personnalité et ne rend pas les malades désirables et séduisantes. Beth est sans cesse instable mais la montre-t-on réellement en véritable souffrance ? Une femme qui souffre, c’est moche…L’addiction n’est pas sexy. Ces moments de faiblesse ne sont pas inacceptables contrairement à ce que la série véhicule. Les moments difficiles ne ressemblent pas à ceux imaginés par les hommes, pendant lesquelles les femmes dansent en sous-vêtements, une bouteille à la main tout en appliquant du rouge à lèvres de manière grotesque.
Une tentative de récit féministe
Avec la nouvelle génération de fictions féministes, telles que Fleabag, Mrs America et Good Girls, il semble évident de se poser la question suivante : « est-on vraiment féministe si on se contente de remplacer un protagoniste masculin par une femme ? »
Evidemment, c’est excitant de voir un personnage féminin être exceptionnel pour son cerveau, plutôt que pour son corps mais ça reste la même histoire d’une femme dans un monde d’hommes que nous voyons à l’écran depuis des décennies.
Le message véhiculé par ces récits se présentant comme féministes est en réalité dangereux. Il dit aux femmes que si elles ne sont pas à la fois intellectuellement dominantes et sexuellement attirantes, elles n’auront jamais l’étoffe d’une protagoniste, d’une figure digne d’intérêt.
Ce message prétendument féministe-progressiste n’est pas nouveau et renforce depuis des années des idées qui peuvent encore nuire au développement des femmes. Le Jeu de la Dame suggère que si vous êtes une femme, vous pouvez gagner mais seulement si vous sacrifiez votre humanité et que vous vous battez pour devenir la meilleure. La seule façon de gagner pour la femme serait donc d’être la perfection et l’excellence absolues dans un domaine, avec l’obligation de surpasser les autres, tous sexes confondus.
Future is female ?
La série s’inscrit dans un contexte post « Me too » qui a vu émerger des fictions revisitant le féministe comme Workin’ Moms, Big Eyes ou dans le plus extrême La Servante Écarlate. En ce qui concerne Le Jeu de la Dame, il reste visiblement du chemin à parcourir.
L’œuvre originale est bien entendu prise en compte. Elle peut être considérée comme une œuvre féministe puisqu’elle est innovante pour l’époque. Le roman à l’origine de la série est publié en 1983, soit en pleine Guerre Froide. Il se concentre sur Beth, une jeune américaine dont le but ultime est de battre le champion du monde d’échecs Vasily Borgov, un homme russe d’âge moyen.
La série est une adaptation fidèle du roman sans recontextualisation. De l’eau a cependant coulé sous les ponts depuis l’époque de la Guerre Froide et une recontextualisation aurait été essentielle et même nécessaire pour la série si elle voulait être perçue comme progressiste et féministe.
Le Test de Bechdel
Il serait cependant injuste de ne pas parler du réel effort effectué au niveau des relations entre les différents personnages féminins de la série.Malgré les arguments avancés, il faut souligner l’existence et l’importance d’autres personnages féminins avec des forces et des faiblesses.
Pour ce faire, il est intéressant de se pencher sur le Test de Bechdel. Créé par Alison Bechdel en 1985, le Test de Bechdel est une mesure de la représentation féminine au cinéma et à la télévision qui utilise trois critères pour évaluer la présence et la visibilité de fortes caractérisations féminines. Le test de Bechdel pose ainsi trois questions : « Y a-t-il au moins deux personnages féminins nommés ? », « Se parlent-ils ? » et « Se parlent-ils d’autre chose que d’un objet d’intérêt romantique masculin ? »
La série passe ce test haut la main, proposant des personnages féminins dignes d’intérêt qui entretiennent des relations fortes et des discussions décomplexées. Par exemple, la relation entre Beth et sa mère adoptive, Alma est très complexe et elles s’y révèlent avec leurs faiblesses et leurs forces.[27]
Alma est introduite comme une femme au foyer déprimée avec un problème d’alcool. Elle ne semble pas vraiment prête à être une mère. Quand son mari la quitte, elle devient une meilleure mère et commence à réellement s’intéresser à Beth. Elle devient très fière du don de sa fille pour les échecs, ce qui leur permet de se rapprocher.
Leur relation est-elle réellement une relation mère-fille ? Bien qu’Alma l’aime et la soutienne comme sa fille, elle la considère et la traite comme une femme. Certes, elles sont proches, se racontent tout et savent qu’elles peuvent compter l’une sur l’autre, mais elles partagent aussi des problèmes d’addiction aux tranquillisants et à l’alcool, n’hésitant pas à se confier l’une à l’autre à propos de leurs problèmes de santé mentale.[28]
Alma enseigne de nombreuses leçons de morale à Beth, notamment celle qu’un don peut simplement être apprécié, ne doit pas toujours pousser à la compétition ou à la frustration. Il est un cadeau dont il faut prendre soin. Cette leçon de vie n’abandonne pas Beth, qui clôture la première saison de la série en jouant pour le plaisir.
Conclusion
Nuancer le regard masculin demande un effort considérable et cet effort doit commencer maintenant. Il doit débuter par l’augmentation des postes occupés par des femmes dans le processus de production et d’écriture. Avec des femmes aux commandes, le Jeu de la Dame aurait peut-être pu être une histoire féministe dépourvue de stéréotypes liés au male gaze. Il aurait pu être un récit de femme, pour les femmes, raconté par les femmes et représentant une jeune femme avec des forces et des faiblesses qui lutte contre les addictions, la maladie mentale et les injustices, tout en se battant pour ses rêves.
En 2021, il est temps que les histoires féministes le soient réellement, en abolissant le regard masculin universel auquel nous sommes devenus si habitués et en rendant aux femmes ce qui appartient aux femmes.
Les jeunes générations voient leurs espoirs, leurs rêves et leurs expériences à l’écran. Elles sont de plus en plus critiques quant aux revendications relatives au genre et à la diversité raciale.[29] Certes l’apparition et la réception du Jeu de la Dame sont des signes prometteurs de choses à venir mais, malgré tous les éloges que la série reçoit, elle n’est pas si révolutionnaire et valorisante pour les femmes qu’elle ne le laisse croire. De plus, elle ne transmet aucun message concernant le changement social relatif à l’égalité des sexes.
Le Jeu de la Dame est une série bien ficelée à appréhender comme un conte de fée moderne qui permet aux femmes de s’évader et d’oublier l’existence du sexisme. Cette série leur fait croire qu’en utilisant leurs dons, elles pourront arriver où elles le souhaitent. Cette utopie, puisque c’en est une, suggère néanmoins que les femmes dotées de dons exceptionnels réussiront. Les femmes « ordinaires » ne pourront-elles donc jamais goûter à un semblant d’égalité des sexes ?
Jusqu’à ce que les hommes reconnaissent que les femmes possèdent une dignité égale, et qu’être exceptionnellement doué n’est pas une exigence requise pour bénéficier du respect, trop de femmes devront trouver des moyens d’être exceptionnelles. En attendant, il semble que nous devions nous contenter d’une émission de divertissement utopique, faussement féministe, sur fond de Guerre Froide, de jeux d’échecs et de Dry Martinis.
Assia Bourdim et Gabrielle De Sacco, Fictions TV et téléfilms, Bloc 3 – Orientation Communication et arts
Sources
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Showcasing Feminism Positively In The Queen’s Gambit And WW84. (2021, 30 janvier). The Daily Fandom. Consulté le 13 décembre 2021, à l’adresse https://thedailyfandom.org/queens-gambit-vs-ww84-feminism/
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Références
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[3] Aix, M. (2021, 20 février). Le Jeu de la Dame : une série féministe originale. MDL AIX. Consulté le 17 décembre 2021, à l’adresse http://iutmdl.over-blog.com/2020/12/le-jeu-de-la-dame-une-serie-feministe-originale.html
[4] 2021, M. R. S.-. (2021, 26 mars). CVFE – Nouvelle analyse : « Le Jeu de la Dame » : Témoignage et analyse d’une joueuse d’échecs. CVFE. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.cvfe.be/a-propos/nos-actualites/360-le-jeu-de-la-dame-temoignage-et-analyse-d-une-joueuse-d-echecs
[5] « Le jeu de la Dame » : à quand la revanche des femmes sur l’échiquier ? (2021, 20 septembre). TV5MONDE. Consulté le 19 décembre 2021, à l’adresse https://information.tv5monde.com/terriennes/echecs-et-mat-la-revanche-des-dames-391185
[7] 2021, M. R. S.-. (2021, 26 mars). CVFE – Nouvelle analyse : « Le Jeu de la Dame » : Témoignage et analyse d’une joueuse d’échecs. CVFE. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.cvfe.be/a-propos/nos-actualites/360-le-jeu-de-la-dame-temoignage-et-analyse-d-une-joueuse-d-echecs
[8] Paloma, J. (2021, 17 décembre). The Feminist Fantasy in “The Queen’s Gambit” – Vox Populi PH. Medium. Consulté le 13 décembre 2021, à l’adresse https://medium.com/vox-populi-ph/the-feminist-fantasy-in-the-queens-gambit-921aa402096f
[9] 2021, M. R. S.-. (2021, 26 mars). CVFE – Nouvelle analyse : « Le Jeu de la Dame » : Témoignage et analyse d’une joueuse d’échecs. CVFE. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.cvfe.be/a-propos/nos-actualites/360-le-jeu-de-la-dame-temoignage-et-analyse-d-une-joueuse-d-echecs
[10] Netflix. Le jeu de la dame. Saison 1 épisode 3. https://www.netflix.com/watch/81093611?trackId=255824129 (consulté le 21/12/21).
[11] Riche, S. (2014, 6 octobre). La Manic Pixie Dream Girl, ce rôle épuisant au quotidien [Vidéo]. Madmoizelle. https://www.madmoizelle.com/manic-pixie-dream-girl-vie-epuisante-289291
[12] Le Jeu de la dame – The Queen’s Gambit – ♀ le genre & l’écran ♂. (2021, 22 février). Le genre & l’écran. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://genre-ecran.net/?Le-Jeu-de-la-dame-The-Queen-s-Gambit
[13] Baousson, S. D. (2021, 11 janvier). Le Jeu de la Dame – Une femme inspirante qui casse les codes. Le blog d’Ada Tech School. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://blog.adatechschool.fr/le-jeu-de-la-dame-preuve-que-les-roles-modeles-sont-indispensables-et-revelateurs/
[14] Netflix. Le jeu de la dame. Saison 1 épisode 1. https://www.netflix.com/browse?jbv=80234304 (consulté le 21/12/21).
[15] Netflix. Le jeu de la dame. Saison 1 épisode 5. https://www.netflix.com/watch/81093613?trackId=14170287 (consulté le 21/12/21).
[16] Baousson, S. D. (2021, 11 janvier). Le Jeu de la Dame – Une femme inspirante qui casse les codes. Le blog d’Ada Tech School. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://blog.adatechschool.fr/le-jeu-de-la-dame-preuve-que-les-roles-modeles-sont-indispensables-et-revelateurs/
[17] « Le Jeu de la dame » ou l’ode aux femmes intelligentes. (2020, 20 décembre). France Culture. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/le-jeu-de-la-dame-les-raisons-du-succes-mondial-de-cette-serie
[18] « Le Jeu de la dame » ou l’ode aux femmes intelligentes. (2020, 20 décembre). France Culture. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/le-jeu-de-la-dame-les-raisons-du-succes-mondial-de-cette-serie
[19] « Le Jeu de la dame » ou l’ode aux femmes intelligentes. (2020, 20 décembre). France Culture. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/le-jeu-de-la-dame-les-raisons-du-succes-mondial-de-cette-serie
[20] Showcasing Feminism Positively In The Queen’s Gambit And WW84. (2021, 30 janvier). The Daily Fandom. Consulté le 13 décembre 2021, à l’adresse https://thedailyfandom.org/queens-gambit-vs-ww84-feminism/
[21] Le Jeu de la dame – The Queen’s Gambit – ♀ le genre & l’écran ♂. (2021, 22 février). Le genre & l’écran. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://genre-ecran.net/?Le-Jeu-de-la-dame-The-Queen-s-Gambit
[22] Le Jeu de la dame – The Queen’s Gambit – ♀ le genre & l’écran ♂. (2021, 22 février). Le genre & l’écran. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://genre-ecran.net/?Le-Jeu-de-la-dame-The-Queen-s-Gambit
[23] Arbrun, C. (2021, 20 septembre). « Le jeu de la dame » , une série « sexiste et dénigrante » ? Terre Femina. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://www.terrafemina.com/article/-le-jeu-de-la-dame-la-serie-netflix-est-elle-sexiste_a359829/1
[24] Taggart, F. (2017, août 11). Le « Nègre magique » , un préjugé tenace. Le Soleil. Consulté le 17 décembre 2021, à l’adresse https://www.lesoleil.com/2017/08/10/le-negre-magique-un-prejuge-tenace-916aa254d05af293f07680087f364b47
[25] Shreevatsa Nevatia. (2019, 16 février). Netflix et les maladies mentales : le cinéma et les séries sont-ils le remède à nos maux? Le Huffington Post. Consulté le 21 décembre 2021, à l’adresse https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/15/netflix-et-les-maladies-mentales-le-cinema-et-les-series-sont-ils-le-remede-a-nos-maux_a_23666603/
[26] Arénas, C. (2020, 10 février). Cette tendance TikTok glamourise les troubles du comportement alimentaire. Madmoizelle. Consulté le 21 décembre 2021, à l’adresse https://www.madmoizelle.com/tik-tok-troubles-comportement-alimentaire-tca-1040996
[27] Farges, E. (2020, 31 octobre). Minisérie / Le Jeu de la Dame : critique | CineChronicle. CineChronicle.com. Consulté le 12 décembre 2021, à l’adresse https://www.cinechronicle.com/2020/10/miniserie-le-jeu-de-la-dame-critique-127826/
[28] R. (2020, 10 novembre). Le Jeu de la Dame : L’histoire d’une prodige des échecs. Le Quotidien du Cinéma. Consulté le 12 décembre 2021, à l’adresse https://www.lequotidienducinema.com/netflix/le-jeu-de-la-dame-lhistoire-dune-prodige-des-echecs/
[29] Baousson, S. D. (2021, 11 janvier). Le Jeu de la Dame – Une femme inspirante qui casse les codes. Le blog d’Ada Tech School. Consulté le 20 décembre 2021, à l’adresse https://blog.adatechschool.fr/le-jeu-de-la-dame-preuve-que-les-roles-modeles-sont-indispensables-et-revelateurs/