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Elle fait partie des séries dramatiques les plus populaires de Netflix, de celles qui nous empêchent de résilier l’abonnement qui se veut toujours plus onéreux, et qu’on aime binge-watcher dès la sortie d’une nouvelle saison. The Crown est un véritable joyau de la plateforme, un symbole de la puissance au féminin, à travers sa reconstitution historique de la famille royale d’Angleterre du XXe siècle, d’autant plus marqué à sa saison 4 par l’arrivée de la Princesse Diana et de la Première Ministre Margaret Thatcher aux côtés de l’indétrônable Reine Elizabeth II.

Arrivés en novembre 2016 sur la plateforme de streaming, les dix épisodes de la première saison ont directement connu un franc succès, malgré la prise de risque d’aborder un tel sujet. Avec un budget colossal de 130 millions de dollars, cette série signée Peter Morgan et Stephen Daldry, dresse un portrait de la monarchie anglaise des années 50 avec un casting brillant. On y retrouve évidemment la reine Elisabeth II avec 70 ans de moins, incarnée par Claire Foy. À ses côtés, Philip Mountbatten, joué par Matt Smith, débordant de charisme, d’amour et de respect pour sa femme-souveraine, mais aussi John Lightow en un Winston Churchill amusant, Vanessa Kirby en une Princesse Margaret rebelle, ou encore Eileen Atkins en Reine Mary. Cette saison, entre drames familiaux et conflits politiques, a parfaitement retracé la naissance du couronnement d’Elisabeth II. La réalisation, soignée et sans chichis, a mêlé les notes de clarinettes, de hautbois et de cors d’harmonie à la lumière naturelle et sombre, qui a permis aux acteurs de faire ressortir leurs émotions avec subtilité. La qualité d’écriture, des décors et de la mise en scène sont plus qu’impressionnants. Cette première saison illustre les dix premières années de règne d’Elisabeth II.

Trois saisons plus tard, trente ans d’histoire sont passés et le casting a bien changé, pour laisser place à des acteurs plus âgés et tout aussi expérimentés, tels que Olivia Colman (Elisabeth II), Tobias Menzies (Philip Mountbatten), Helena Bonham Carter (Princesse Margaret), Gillian Anderson (Margaret Thatcher), Josh O’Connor (Prince Charles) ou encore Emma Corrin (Diana Spencer). La saison 4 se déroule dans les années 80, est plus forte, et surtout plus « femmes ».

Elisabeth II, la reine au cœur de pierre

On peut le voir à travers l’entièreté de la série, Elisabeth II a un naturel de marbre. Couronnée à l’âge de 25 ans, suite au décès de son père, elle a dû faire face à d’immenses responsabilités qui l’ont obligée à garder la tête haute en toutes circonstances. Encore aujourd’hui, la presse se demande parfois comment la Reine fait pour ne jamais verser de larmes face à de tragiques évènements, et ça, la série met le doigt dessus en nous laissant entrer dans les pensées d’Elisabeth qui cherche elle-même à comprendre son secret au fil des épisodes.

Dans la saison 4, la jeune Elisabeth a vieilli, mais son aura de puissance n’a fait que s’accroître. Sa sœur Margaret, encore plus rebelle que trente ans plus tôt, vit mal d’être dans l’ombre de la Reine. Cela apporte un petit grain de folie, de jeunesse à la série, où chacun peut se retrouver dans ce personnage droit et déterminé. Certains épisodes ne se concentrent d’ailleurs que sur Margaret et ses histoires tumultueuses.

Peut-être qu’un jour Margaret aura l’entièreté des feux des projecteurs braqués sur elle, sans être juste surnommée « la sœur rebelle de la Reine ». Jusqu’à aujourd’hui, plus on avance dans sa biographie, plus le poids de la royauté l’écrase, et rend le fil des saisons un peu plus dramatique, parce que ses folies ressemblent davantage à des appels au secours qu’à une rébellion.

Par ailleurs, The Crown renforce cette image de la lourde Reine sur son plateau d’échecs, mais nous permet tout de même de découvrir ses hésitations, elle qui paraît pourtant si sûre d’elle. Pourtant d’apparence si insensible, elle assure sa vie de mère tandis que ses enfants tracent leur route, en essayant parfois de sortir du droit chemin. On la découvre progressivement davantage en tant que femme, et non uniquement en qualité de noyau dur d’une royauté.

Ainsi, même s’il y a parfois des sous-entendus à propos de Philip et de ses potentielles relations extra-conjugales, idée appuyée par la série, la Reine ne se laisse jamais faire. Dès le début de la relation, Philip a toujours été embarrassé d’avoir moins de pouvoir que son épouse. On peut l’apprendre dès la première saison, lorsqu’il prononce la réplique « Arrête de me matroniser ». Comme à tous les hommes, elle a très vite fait savoir que personne ne la soumettrait, apparaissant comme une femme puissante qui n’a pas l’air de vouloir être détrônée !

Pourtant, dans cette saison 4, l’intrigue s’est petit à petit détachée d’Elisabeth pour laisser place à Diana Spencer, jeune femme victime de son propre statut de princesse.

Lady Diana, la princesse malgré elle

L’arrivée de Diana dans cette quatrième saison était très attendue, étant donné sa popularité : jeune princesse victime de la famille royale, de son mari, des paparazzis… Sa première apparition est romancée de manière stratégique : le prince Charles vient chez les Spencer pour rencontrer sa sœur Sarah, mais tombe finalement sur la jeune Diana, à peine âgée de 16 ans, masquée et vêtue d’une tenue fleurie. Elle se cache des yeux de Charles, semble frêle et naïve, comme pour illustrer l’innocence qu’elle possédait dans sa jeunesse, avant que sa vie ne soit liée au sang royal. La série s’est permis d’autres libertés artistiques, telles que le parallèle entre la scène où Diana passe le test familial et la traque d’un cerf blessé. C’est d’ailleurs elle qui indiquera au Prince Philip d’où vient le vent pour qu’il puisse tirer et achever la bête, comme si, symboliquement, elle s’offrait à l’abattage. Et comme ce trophée de chasse accroché au mur, la famille royale attend de cette nouvelle princesse qu’elle n’aie pas d’opinion et qu’elle ne dérange pas, c’est ainsi qu’elle comprend que la plus belle période de sa vie s’achève, alors que comme toute petite fille elle rêvait d’épouser un prince charmant.

The Crown n’a pas hésité à noircir le prince pas si charmant qu’est Charles, en montrant Diana délaissée, victime de sa boulimie et de sa souffrance de voir son mari aimer une autre femme, Camilla Parker. Cette femme autrefois mariée et mère, n’était pas la femme idéale pour le Prince. C’est pourquoi la famille britannique l’a poussé à épouser l’innocente Diana. Malgré les quelques libertés prises pour la romance, les faits seraient apparemment avérés, la vraie Diana Spencer les a confirmés dans plusieurs de ses interviews qui sont remontés à la surface après la sortie de cette saison.

Il est tout de même important de souligner que cette série est fictionnelle et non documentaire. La famille royale a d’ailleurs été très agacée que Charles soit représenté comme une personne trompeuse et méchante. Peter Morgan tente au mieux depuis la première saison de rester fidèle à la réalité, mais ne peut s’empêcher de romancer les choses. Il n’a d’ailleurs pas vraiment épargné Diana, puisqu’en plus de son côté fragile et insouciant, elle est vue comme très capricieuse. L’actrice qui l’incarne, Emma Corrin, joue la sensibilité de ce personnage à la perfection.

On retrouve une Elisabeth tourmentée lorsque le premier bébé, William, naît de l’union entre Charles et Diana. La Reine, éternellement froide, remet en question ses agissements envers ses enfants en voyant Lady Di offrir sa chaleur de mère à son petit. Et ce contraste entre ces deux femmes marque encore plus de cassures, puisque Diana devient populaire et plaît au monde entier grâce à des agissements que la famille royale ne tolère pas, tels que sa sincérité, sa vulnérabilité, sa gentillesse et son empathie. Un peu à l’image du Prince Philip, on comprend à travers la série que Charles ne supporte pas de voir sa femme briller plus que lui, à la différence que lui, ne l’a jamais aimée.

Alors que jusqu’ici on se prenait à aimer chaque personnage de The Crown, la série creuse désormais un fossé entre la jeune princesse et la famille royale. On a pitié pour cette pauvre victime et on ressent presque de la haine pour Charles qui la rejette, alors qu’elle est aimée de tous. Certains, dont la famille royale, disent que l’histoire a été bien trop romancée et critique envers eux, mais en regardant les autres témoignages, on se rend compte que ces dix épisodes racontent parfaitement le début du calvaire. Alors que la Reine incarnait jusque-là cette aura de puissance et de solidité, la Princesse amène une fragilité à laquelle elle semble résister, mais jusqu’à quand ?

Simultanément, une autre future indésirée est entrée dans la sphère royale : la première ministre Margaret Thatcher.

Margaret Thatcher, féministe malgré elle

Alors que Lady Diana était d’abord vivement accueillie au sein du Palais royal, Margaret Thatcher, elle, était considérée par la famille comme une « plouc » qui ne connait rien aux codes. Surnommée à l’époque « La Dame de Fer », The Crown met encore une fois l’accent sur le côté sentimental du personnage. Incarnée par Gillian Anderson, elle reproduit à merveille le caractère de la conservatrice anglaise, avec sa voix qui tremble, son éternel brushing et son dos bossu. On imaginait une vraie dure-à-cuire détestable étant donné ses gaffes et ses échecs en tant que Première Ministre. Cependant, l’image renvoyée par la série nous donne envie d’avoir pitié de cette vieille dame pourtant misogyne. En effet, Peter Morgan a occulté ce détail de l’histoire, préférant probablement se concentrer sur le reste. On entre dans son foyer triste, dans ses doutes mais on ne sait pas que c’est son éducation qui l’a portée là,  elle qui a été élevée dans l’élitisme et non dans l’égalité.

Certains la considèrent néanmoins comme féministe, mais bien malgré elle ! L’écrivaine féministe Beatrix Campbell l’a souligné lors d’un débat sur la BBC :

 « Elle a exercé le pouvoir non pas en disant aux femmes : « vous pouvez être comme moi », mais en disant « je suis l’exception »(…) Tchatcher détestait le féminisme. Elle était élitiste, elle n’a jamais été égalitaire. »

La Première Ministre ne s’en est effectivement jamais cachée, elle qui disait en 1982 :

« La bataille pour les droits des femmes a largement été gagnée. J’ai horreur des sons stridents qu’émettent certaines féministes (…) Je déteste le féminisme. C’est un poison. »

À contrario cependant, elle pouvait affirmer :

 « En politique, si vous voulez que quelque chose soit dit, demandez à un homme. Si vous voulez que quelque chose soit fait, demandez à une femme. »

Comme pour chaque personnalité politique, tout le monde a un avis sur ce sujet. Margaret Thatcher a longtemps fait débat, mais beaucoup soulignent qu’elle a été une pionnière. Barack Obama a d’ailleurs dit :

« C’est une preuve pour nos filles qu’il n’y a aucun plafond de verre qui ne puisse être brisé. »

La députée travailliste Gisela Stuart admet que, si Thatcher n’est pas irréprochable, étant donné qu’elle n’a jamais cherché à s’entourer de femmes :

« Elle a fait tomber les barrières, c’est à la génération suivante de femmes qu’il est revenu de les franchir (…) elle a montré qu’il n’y avait aucun domaine dans lequel une femme ne pouvait réussir. »

Comme le dit Emma Barnet dans le Daily Telegraph :

« Il est bien connu que la Dame de Fer ne se considérait pas comme une féministe mais cela ne veut pas dire qu’elle ne peut pas être une icône pour toutes les femmes qui se considèrent comme telles. »

The Crown n’a pas cherché à faire débat, ni à noircir son image, si ce n’est de s’en moquer légèrement. Elle a été intégrée à la série en tant que femme politique et mère, ce qui aura enfin bousculé la lignée d’hommes qui a défilé dans le Palais Royal. Cela prouve également la liberté de la série quant aux angles thématiques qu’elle veut choisir.

Une saison 5 avec moins de femmes ?

L’Histoire est écrite, The Crown ne fait que la retranscrire. On sait que Margaret Thatcher quittera rapidement son rôle de Première Ministre et sera remplacée par un homme. On sait que la Reine restera Elisabeth II, et on languit de savoir quelles seront les nouvelles intrigues. On sait aussi que Diana finira par mourir dans un tragique accident, mais on attend de voir comment elle va supporter ses dernières années à l’intérieur et en-dehors du palais. Ce qui est sûr, c’est que le casting vieillit. A l’avenir, en Elisabeth II, on retrouvera la célèbre Imelda Staunton, son mari sera Jonathan Pryce, en Princesse Margaret, Lesley Manville et en Princesse Diana, Elizabeth Debicki.

Une image solide de la femme

Avec cet accent mis sur les femmes fortes de la monarchie et de la politique anglaise, The Crown est sans doute devenue une des meilleures séries féministes du 21e siècle. Parfois contestée par les principaux intéressés, parfois jugée trop romancée par les historiens royalistes et parfois dépréciée par certains critiques, elle s’érige tout de même en coup de cœur du grand public. Porte-parole de l’indépendance féminine et porte drapeau des rêves de toute femme qui souhaite se lancer en politique, la série ne manque pas de faire parler d’elle. Qu’en auraient pensé Margaret Thatcher et Diana Spencer ? Auraient-elles adoré, auraient-elles détesté ? Nous ne le saurons jamais, mais une chose est sûre, contrairement à certaines grandes figures masculines d’Angleterre, leur image est maintenant renforcée pour longtemps..

Louis Dechange et Florine Gérard, Fictions TV et téléfilms, Bloc 3 – Orientation Communication et arts

Post Author: comuniquehepl

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